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Le BEA cherchera les "circonstances et les causes profondes des accidents" industriels

Lou BENOIST / AFP
Le BEA-risques industriels se met en place un an après la catastrophe de l'usine Lubrizol. On en voit ici la partie qui a brûlé, en cours de nettoyage, fin septembre 2020.
Lou BENOIST / AFP
Annoncé suite à Lubrizol, le Bureau d'enquêtes et d'analyses sur les risques industriels doit voir le jour le 1er décembre. Objectif : analyser 15 à 20 incidents par an. Les rapports seront publics. Il mènera des "enquêtes techniques visant à améliorer la sécurité future, et non à rechercher des responsabilités", insiste Jérôme Goellner, préfigurateur et futur directeur.

Dans le cadre du plan d’actions pour la prévention des risques industriels post Lubrizol, le Bureau d’enquêtes et d’analyses (BEA) sur les risques industriels dont la préfiguration avait été annoncée en juin 2020 devrait voir le jour le 1er décembre 2020, via un arrêté à paraître.

"Cette structure, chargée d’enquêter en toute indépendance sur les causes d’un accident industriel pourra ainsi commencer à travailler", explique au cours d’une interview à actuel-HSE le 23 novembre 2020 le préfigurateur et futur directeur du BEA Jérôme Goellner (*). "Par la suite, le cadre de ce nouveau BEA sera défini par les dispositions découlant de la proposition de loi déposée en septembre par le député LREM Damien Adam – qui sera a priori discutée au Parlement en début d’année prochaine", poursuit-il.

Comme le BEA sur les accidents de transport terrestre (BEA-TT), le BEA sur les risques industriels opérera en tant que service à compétence nationale. Au sein du CGEDD (conseil général de l’environnement et du développement durable), il sera aussi placé auprès de la vice-présidence – un poste actuellement occupé par Dominique Bursaux.

Un bureau qui fait consensus

"La réflexion sur un bureau enquête a commencé en 2017 avec la publication d’un cahier "Processus enquête" par l’Icsi (institut pour une culture de la sécurité industrielle)", rappelle Jérôme Goellner. L’idée a été reprise à la suite de la catastrophe de Lubrizol, notamment par la commission d’enquête du Sénat et par le CGEDD et le Conseil général de l’économie.

"La création de ce bureau a fait consensus", considère ainsi le futur directeur. Julien Jacquet-Francillon, quant à lui secrétaire général adjoint du Sniim (syndicat national des ingénieurs des industries et des mines, qui rassemble une partie des inspecteurs ICPE), salue en effet lui aussi la mise en place d’une structure qui portera "un regard à la fois global et ciblé" sur les accidents.

15-20 événements analysés par an

Le BEA s'organisera, selon son futur directeur, autour de quatre "directeurs d’enquête". "En termes quantitatif, nous avons prévu d’analyser chaque année les cinq ou six accidents les plus importants relevant de l'annexe VI de la directive Seveso, ainsi que plusieurs incidents ou presqu’accidents illustratifs qui pourraient nous apporter des enseignements. Soit au total entre 15 et 20 événements pan an", explique Jérôme Goellner.

Outre les accidents concernant les ICPE, et selon la proposition de loi de Damien Adam, le BEA sera également compétent pour d’autres infrastructures dangereuses, comme les pipelines. "Chaque ouverture d’enquête sera rendue publique", précise encore Jérôme Goellner.

"Totale liberté", mais interrogations sur le budget

Qu’apportera ce nouveau bureau ? "Il permettra d’abord de professionnaliser et de prendre le temps de l’enquête, détaille son futur directeur. Pour chercher les circonstances et les causes profondes des accidents – qui peuvent être liés à des problèmes d’organisation, de culture, d’ergonomie, etc", poursuit-il. À cet effet, il jouira "d’une totale liberté dans la conduite de ses enquêtes". Ses moyens proviendront du CGEDD – qui, concrètement, paiera notamment les salaires – et le BEA disposera en outre d’un "droit de tirage" auprès de l’Ineris (institut national de l’environnement industriel et des risques). Il pourrait également avoir recours à des expertises privées.

Un budget propre est-il prévu ? "Il est difficile de préparer un budget lorsqu’on ne sait pas ce qui peut arriver dans l’année", répond Jérôme Goellner, précisant toutefois que la DGPR (direction générale de la prévention des risques, administration rattachée au ministère de la transition écologique) assurerait le règlement desdites expertises. "Je n’ai pas le sentiment que cette absence de budget nuise à l’indépendance du bureau", assure-t-il. La proposition de loi prévoit en tout cas que l’État puisse se faire rembourser les frais d’expertise par l’exploitant à l’origine de l’accident.

Une enquête "technique" pour "améliorer la sécurité future"

Une fois établi, le constat des causes devra permettre au BEA d’établir des recommandations pour améliorer la sécurité et prévenir de futurs accidents. "Ces propositions seront formulées à la fois auprès des industriels et de l’administration, par exemple en conseillant des évolutions de la réglementation et du contrôle", explique Jérôme Goellner.

Selon lui, les rapports contenant analyses et recommandations seront publics, ainsi que les réponses des industriels ou de l’administration. "J’insiste. Il s’agit d’une enquête technique visant à améliorer la sécurité future, et non à rechercher des responsabilités", termine le futur directeur. Une enquête qui se fera donc en parallèle de l’éventuelle procédure judiciaire – la proposition de loi détaillant les modalités de la coordination entre les deux.

(*) Auparavant, Jérôme Goellner a notamment dirigé la Driee (direction régionale et interdépartementale de l’environnement et de l’énergie), en Île-de-France, entre 2016 et 2020.

Éva Thiébaud
Ecrit par
Éva Thiébaud

Commentaires (2)

Un abonné | 27/11/2020 - 11:30

Quel lien avec le BARPI ?

En effet, il me semble que cet organisme réalise déjà des enquêtes après incident / accident. Par ailleurs, ces rapports sont aussi rendus publics.
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La rédaction – Éva Thiébaud | 27/11/2020 - 11:31

Merci de votre question, très pertinente !

En effet, au sein de la DGPR, le Barpi (bureau d'analyse des risques et pollutions industriels) est chargé de rassembler, d’analyser et de diffuser les informations et le retour d’expérience en matière d’accidents industriels et technologique. À ce titre, il gère la base de données Aria, et se définit comme une "médiathèque interactive de référence en accidentologie industrielle".

En revanche, comme le soulignent dans leur rapport de février 2020 le CGEDD et la CGE, le Barpi n’a pas été conçu pour répondre à la fonction d’enquête technique". Dans un souci de lisibilité, ces deux administrations préconisent alors la création d'un BEA sur la base du Barpi existant. Mais "ce n'est pas la solution qui a été choisie, de façon à assurer l'indépendance du BEA par rapport à la DGPR", nous explique Jérôme Goellner, futur directeur du BEA, à qui nous avons soumis votre question.

Jérome Goellner précise : "BEA et Barpi vont néanmoins largement collaborer. Les agents du BEA auront un profil de "directeurs d'enquête" et devront travailler avec les experts, les inspecteurs de terrain, mais aussi avec le Barpi qui, via sa base de données, apportera sa connaissance des accidents du passé".

Selon le futur directeur du BEA, son bureau et le Barpi devraient également largement coopérer sur la diffusion pédagogique et internationale des enseignements qu'apporteront les enquêtes.

Nous espérons avoir pu vous éclairer !
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