Chronique

Médecine du travail : un statut quo qui conduirait à l’impasse…

"Sans réforme, le système est condamné", alerte Sophie Quinton-Fantoni, défendant son rapport sur la médecine du travail. La visite médicale d'embauche pourrait être, sauf poste à risque, remplacée par une "visite de prévention", et la notion d'aptitude revue.

"Les propositions de ce rapport ne règlent en rien les besoins de réforme de la médecine du travail et plus encore, vont à l’encontre  de l’intérêt des salariés", estime dans un communiqué le conseil national de l'ordre des médecins, à propos du rapport piloté par le député Michel Issindou qui propose une réforme de la médecine du travail, et notamment de la notion d'aptitude (voir notre article). Le Cnom dit s'étonner que le rapport "ne reprenne aucune des propositions […] formulées lors des auditions préalables". Il dit s'inquiéter "vivement" de certaines propositions : "le remplacement de la visite médicale d’embauche par une simple visite d’information et de prévention réalisée par un infirmier, alors que la visite médicale va bien au-delà d’une simple déclaration d’aptitude", et "la suppression de la notion d’aptitude avec réserves et des propositions d’aménagement, qui ont pourtant démontré leur utilité en servant de levier pour conduire l’employeur à effectuer des modifications de poste".

Sophie Quinton-Fantoni a participé au rapport (voir notre interview lors de la publication du rapport). Elle défend ici le rapport, ses préconisations, et tient à alerter sur le risque "d'impasse" qu'elle voit si aucune réforme n'était menée.

 

Le CNOM met en doute l’intérêt pour les salariés du rapport "aptitude et médecine du travail" remis aux ministres du travail et de la santé en mai dernier.

Ce rapport a pourtant voulu émettre des préconisations dans un contexte démographique médical et réglementaire qui, maintenu dans son statut quo, nous mène inexorablement vers une impasse autant pour les salariés que pour les médecins du travail, en particulier les jeunes qui s’engagent dans la formation et l’exercice professionnel.

Le CNOM dénonce une méconnaissance du terrain et une vision caricaturale du rôle des médecins du travail alors que la mission a examiné et synthétisé le contenu de 178 auditions, 200 contributions écrites et retours d’expérience, en plus de celle du CNOM, tenant compte des éléments objectifs qui constituent aujourd’hui l’environnement de la santé au travail. C’est à partir de cette enquête méthodique et des travaux de la littérature scientifique menés en sciences médicales et en sciences humaines et sociales, que la mission a pu affirmer que l’état de santé du salarié ne peut toujours être parfaitement connu du médecin du travail puisque le salarié peut ne pas lui confier son histoire médicale. Par ailleurs avec plusieurs centaines d’entreprises à suivre simultanément, un médecin du travail ne peut pas non plus être en mesure de connaître parfaitement les postes de travail, d’autant que les employeurs ne leur fournissent pas non plus toutes les informations nécessaires.

Le CNOM reproche aux rédacteurs du rapport d’insinuer que les médecins du travail auraient des pratiques contraires à l’éthique et à la déontologie. Or, ni La compétence, ni les qualités des médecins du travail, ni leur déontologie ne sont jamais remises en cause dans ce rapport, où sont plutôt visés les outils et les moyens insuffisants dont ils disposent pour mener à bien leur mission.

La proposition du rapport de supprimer l’avis d’aptitude à l’issue des visites médicales (sauf pour les postes de sécurité) a inquiété la profession alors même que cette notion n’est pas définie juridiquement, est de source assurantielle et médico-légale et induit un malaise lors de ce son usage par les médecins du travail pour qui on n’a jamais pris la peine de définir ce concept. Dès lors, cette notion d’aptitude reste entourée d’un flou, n’a pas fait la preuve de son efficacité en terme de prévention et contraint les médecins du travail à des pratiques hétérogènes et risquées juridiquement.

Le CNOM s’inquiète également du remplacement de la visite d’embauche par une visite de prévention qui aurait pourtant le mérite d’être systématique pour l’ensemble des salariés alors qu’aujourd’hui la visite médicale d’embauche est effectuée pour seulement 10 % des nouveaux embauchés (38 millions d’embauches par an, face aux 3,5 millions de visites d’embauches faites annuellement en France) sans discernement selon les risques réels et donc sans aucune équité de traitement pour les salariés.

Ce que nous souhaitons fermement : la réappropriation du suivi médical et de ses modalités par le médecin du travail...

La proposition du rapport vise à initier un rendez-vous de prévention, y compris pour les salariés précaires, à ouvrir un dossier de santé au travail, à détecter les risques de santé particuliers en lien avec l’infirmière et des protocoles ainsi que la possibilité à tout instant d’orienter le salarié vers le médecin. Elle entre totalement dans ce que nous souhaitons fermement : la réappropriation du suivi médical et de ses modalités par le médecin du travail qui pourra prescrire un suivi de santé en fonction des besoins réels. Le médecin du travail, en confiant une partie du suivi de santé aux infirmières, devrait ainsi dégager du temps précieux pour orienter davantage ses compétences spécifiques vers la prévention, la traçabilité et le maintien en emploi.

Enfin, le CNOM déplore la "suppression de la notion d’aptitude avec réserves" alors, qu’à l’inverse, les auteurs du rapport se sont attaché à faire des propositions visant à consolider et élargir la palette des préconisations possibles pour conduire l’employeur à effectuer des adaptations de poste.

Soucieux de l’avenir d’un système de santé au travail qui doit garantir la santé au travail de tous les travailleurs, pour lequel le rapport a réaffirmé l’approche mixte originale française, à la fois individuelle et collective, ainsi que le rôle prépondérant des médecins du travail, nous regrettons une telle réaction du conseil national de l’ordre des médecins dont nous avons besoin, au contraire, qu’il soit le moteur de l’avenir de la spécialité médicale qu’est la médecine du travail.

Il ne faut pas perdre de vue que les obligations réglementaires aujourd’hui sont intenables et donc non respectées.

Il ne faut pas perdre de vue que les obligations réglementaires aujourd’hui sont intenables et donc non respectées, que dans certaines régions les salariés ne sont déjà plus vus en visite médicale que de façon très espacée et que si l’on n’y prend garde, notre système de santé au travail dépérira. Sans réforme, le système est condamné. Chacun doit en prendre conscience à temps, en dehors de tout corporatisme et au-delà des postures traditionnelles.

Ecrit par
Élodie Touret