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Rapport Combrexelle : mettre l'organisation du travail sur la table des négociations

JACQUES DEMARTHON / AFP
JACQUES DEMARTHON / AFP
L'ancien DGT préconise de reprendre la règlementation des conditions de travail avec un classeur à trois entrées ainsi hiérarchisées : ce qui relève du noyau dur, ce qui peut être renvoyé à la négociation, et ce qui doit s'appliquer en l'absence d'accord.

"L’application de ces normes, certes nécessaire, est très contraignante pour les entreprises et notamment les PME/TPE. Or il s’agit là d’un noyau dur de notre code du travail qui, par nature, échappe pour l’essentiel au champ de la négociation collective", constate Jean-Denis Combrexelle à propos des dispositions régissant la santé des salariés. L’ancien DGT (directeur général du travail) a remis hier au Premier ministre son rapport sur "la négociation collective, le travail et l’emploi". Il y voit quatre piliers – le temps de travail, les salaires, l’emploi et les conditions de travail – pour lesquels il y a urgence à renforcer la négociation d’entreprise ou de branche. Cela permettrait une "adaptation" du code du travail qu’il préconise de lancer "à très court terme, c’est-à-dire dans le courant de l’année 2016".

Ne pas transformer le code en jurisprudence

La "réduction drastique du code du travail" ? Une solution sur laquelle Jean-Denis Combrexelle ne veut même pas s’attarder : "elle plongerait notre économie et notre système de relations sociales dans une situation chaotique et donnerait au juge un pouvoir sans précédent". Lequel juge utiliserait ce pouvoir pour "restaurer en règles jurisprudentielles les règles législatives et règlementaires qui auraient été précédemment abrogées". Cependant, le code du travail, "par sa trop grande précision", déborde. Et il empiète ainsi "sur les champs qui relèveraient de la responsabilité des acteurs économiques et sociaux". Le président de la section sociale du Conseil d'État propose d’en repenser l’architecture, "sans que son plan soit revu".

En pratique, il s’agirait d’abord – pour les conditions de travail, ainsi que le temps de travail, les salaires et l’emploi – de faire "clairement la part" entre trois niveaux :

1. le "noyau dur", ce qui relève de l’ordre public, c’est-à-dire les "dispositions impératives" les "principes fondamentaux du droit du travail qui relèvent strictement du champ de l’article 34 de la Constitution ainsi que les normes de transposition du droit communautaire" ;

2. ce qui peut être renvoyé à la négociation collective, "avec le minimum d’encadrement législatif qu’exige la Constitution" ;

3. les dispositions supplétives, qui s’appliqueraient en l’absence d’accord collectif.

Clarifier et élargir le champ de la négociation sociale dans ces quatre domaines aboutirait à la signatures d'"Actes", l’acronyme pour "accords sur les conditions et temps de travail, l’emploi et les salaires".

Une architecture sur 3 étages

 

Vestiaires et lean management

"Non sans paradoxe, le code du travail est très précis et exigeant sur certains dispositifs concernant les conditions de travail au sens classique du terme (vestiaires des salariés) mais reste muet sur les nouvelles méthodes de management (lean management, etc.) qui ont une incidence sur la vie quotidienne de millions de salariés", regrette Jean-Denis Combrexelle. Il souligne "l’émergence des TMS (troubles musculo-squelettiques) qui sont la principale maladie professionnelle et des RPS (risques psychosociaux) liés à des méthodes de management parfois contestables". Sa préconisation : ouvrir des négociations sur toutes les questions liées à l’organisation du travail et aux conditions de travail. Un sujet tabou côté patronal, qui a toujours refusé jusque-là de mettre l’organisation du travail et les méthodes de management sur la table des négociations, s’arrêtant à l’idée de "qualité de vie au travail".

Seulement deux obligations de négocier

La loi Rebsamen, tout juste promulguée, vient de refondre les obligations de négocier en entreprise, regroupant la douzaine de sujets en trois nouveaux blocs (voir notre article) – rémunération, temps de travail et répartition de la valeur ajoutée ; qualité de vie au travail ; gestion des emplois et des parcours professionnels. Jean-Denis Combrexelle propose d’aller encore un peu plus loin et de se limiter à deux moments de négociation, qui se tiendraient uniquement tous les 4 ans, avec une clause de revoyure annuelle à activer si nécessaire. L’un porterait sur la stratégie (perspectives d’évolution de l’entreprise, conséquences sur l’emploi, le temps de travail et les salaires). L’autre sur "les divers aspects de la qualité de vie au travail qui vont des conditions de travail à la santé et aux questions de discrimination et d’égalité"hommes/femmes".

Le thème des conditions de travail n’était évoqué que dans 2 % des accords d’entreprise en 2014. Même constat au niveau des branches : sur 951 accords, à peine plus de 4 % abordent la problématique. "Ces chiffres sont néanmoins à prendre avec précaution : peu d’accords portent explicitement cet intitulé, mais la thématique – très large – des conditions de travail peut être présente dans des accords portant sur d’autres thématiques", concède cependant Jean-Denis Combrexelle.

Actuellement, au niveau des branches, les thèmes essentiels sont les salaires, la prévoyance et les retraites complémentaires, la formation professionnelle, le contrat de travail, l’égalité professionnelle et le temps de travail. La négociation d’entreprise porte, quant à elle, en priorité sur les salaires, le temps de travail et l’emploi.

Les conditions de travail, un thème d’accord peu fréquent

 

Élodie Touret
Ecrit par
Élodie Touret