Au titre de la sécurité et des droits sociaux, le Conseil d'État valide les clauses d'interprétariat
Après une bataille gagnée cet été grâce aux juges du tribunal administratif de Nantes, les clauses d'interprétariat viennent de gagner la guerre. Ces clauses – qui peuvent être vues comme des "clauses Molière déguisées" – imposent aux entreprises de bâtiment le recours à un interprète lorsque ses salariés ne parlent pas français. Dans une décision rendue lundi 4 décembre 2017, le Conseil d'État les valide. Les clauses en question, élaborées par la région des Pays-de-la-Loire, avaient été attaquées par la préfète Nicole Klein, qui estimait qu'elles constituaient une entrave à la libre concurrence entre les entreprises françaises et étrangères.
Porté en cassation par le ministre de l'intérieur, le pourvoi se heurte au rejet du Conseil d'État. Ce dernier adhère à l'argumentaire de la région, en estimant que l'intervention d'un interprète garantit la compréhension par le personnel étranger peu qualifié des droits sociaux français qui leur sont applicables. Sans affirmer que ces clauses restreignent la liberté de concurrence, les magistrats affirment que si tel était le cas, une telle entrave serait justifiée par un objectif d'intérêt général, sans être disproportionnée. Les clauses "présentent un lien suffisant avec le marché" et ne sont pas discriminatoires car elles s'appliquent "indistinctement à toute entreprise quelle que soit sa nationalité". Toutefois, la mise en œuvre de la clause "ne doit pas occasionner de coûts excessifs au titulaire du marché".
La problématique des clauses d'interprétariat n'est pas sans rappeler celle des "clauses Molière", qui visent à imposer, dans les appels d'offre publics, l'usage exclusif du français sur les chantiers, ceci afin de dissuader les entreprises candidates qui recourent au travail détaché. Ces clauses Molière ont été récemment torpillées par une circulaire interministérielle, qui enjoint aux préfets français d'interdire le recours à ce procédé illégal discriminatoire. La circulaire affirme que ces clauses "ne sauraient se réclamer de la protection des travailleurs", car les droits français et européens prévoient déjà un arsenal juridique suffisant.
|
► Lire aussi : • Avec l'argument de la sécurité, la "clause Molière" de plus en plus fréquente |
|---|
À contre-courant du raisonnement gouvernemental, l'arrêt du Conseil d'État admet volontiers l'objectif d'intérêt général visant à protéger la santé et la sécurité des travailleurs. Les clauses d'interprétariat "ne doivent pas être confondues avec les clauses dites 'Molière'", affirme-t-il dans le communiqué accompagnant la décision.
Sur son compte Twitter, l'ex-président de la région des Pays-de-la-Loire Bruno Retailleau s'est déclaré "heureux que le Conseil d’État ait donné raison à la région, contre l’État". Il se félicite dans un communiqué (signé également par Christelle Morançais, présidente de la région depuis novembre 2017) de l'émergence de cette "variante affinée de la clause Molière", moyen de "résistance concrète et efficace à la concurrence déloyale générée par la directive sur le travail détaché".
"Désormais, annonce le communiqué, cette digue anti-dumping pourra être élevée dans d’autres régions, pour protéger d’autres emplois". Les clauses d'interprétariat devraient en effet ouvrir la voie aux régions françaises ayant adopté le principe des clauses Molière sans tenir compte de l'instruction interministérielle. C'est notamment le cas de l'Île-de-France, des Hauts-de-France ou encore de l'Auvergne-Rhône-Alpes.
Ces régions devront pour cela cependant revoir leur copie. À commencer par la région Auvergne-Rhône-Alpes, dont la délibération du conseil régional introduisant la clause Molière vient d'être annulée, le 13 décembre 2017, par le tribunal administratif de Lyon. La clause exigeait, sous peine de sanction – 5 % du montant du marché –, que "le titulaire du marché s’engage à ce que tous ses personnels, quel que soit leur niveau de responsabilité et quelle que soit la durée de leur présence sur le site, maîtrisent la langue française".
La région de Laurent Wauquiez a eu beau se défendre, soutenant que la clause Molière a "pour objet de lui permettre de mettre en œuvre les obligations qui lui incombent en tant que maître d’ouvrage et de garantir la protection des travailleurs sur les chantiers", elle n'a pas convaincu les magistrats. Ils estiment n'avoir vu dans l'argumentaire "aucun élément" établissant que ces mesures "contribueraient à l’amélioration de la sécurité des salariés ou même à la lutte contre le travail détaché illégal".
La délibération est donc annulée pour détournement de pouvoir, le tribunal administratif jugeant qu'elle a été adoptée "non pour assurer la protection de la santé et de la sécurité des salariés, mais pour exclure les travailleurs détachés des marchés publics régionaux et favoriser les entreprises régionales".