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Compte pénibilité : la nouvelle définition du travail répétitif

Saisir, insérer, visser, frapper, encoller… Autant d'actions techniques qui, lorsqu'elles sont réalisées à une cadence contrainte et rapide – plus de 30 par minute – pendant la majeure partie du temps de travail, exposent à la pénibilité. Les seuils de ce facteur, déjà en vigueur, devraient être révisés.

Il s’agissait, avait souhaité Manuel Valls en mai dernier, de trouver une formule magique pour "adapter" la définition du travail répétitif – dans le cadre du dispositif du compte pénibilité – "à la réalité du travail dans les entreprises industrielles" (voir notre article). "La définition actuelle est jugée trop imprécise par les entreprises, alors même qu’il est en application depuis le 1er janvier 2015", constatait même la lettre de mission envoyée à Hervé Lanouzière, directeur général de l’Anact (agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail) en juillet ( voir notre brève). Changement de ministre oblige, il a rendu lundi 28 septembre, son rapport à Myriam El Khomri.

La quête de l’indicateur

Pour repérer le travail répétitif, Hervé Lanouzière propose de s’appuyer sur 5 éléments de qualification : l’exécution de mouvements répétés + qui sollicitent les mêmes articulations et segments corporels + sont réalisés sous contrainte de temps + à une vitesse élevée + pendant la majeure partie du temps de travail. Quand l’exposition au bruit est caractérisée par le dépassement d’un seuil assez simplement mesuré en décibels, celles à la manutention manuelle avec des kilos ou aux températures extrêmes avec des degrés Celsius, difficile de trouver un indicateur évident au travail répétitif. "L’indicateur de référence de la répétitivité doit être la cadence du travail, mesurée par la fréquence des actions à réaliser dans une unité de temps donnée", écrit le directeur général de l’Anact.

30 actions techniques ou plus par minute

Il propose donc de réécrire l’article D. 4161-2 du code du travail avec un seuil d’exposition fixé à "15 actions techniques ou plus" par cycle de 30 secondes, ou "30 actions techniques ou plus par minute" pour des cycles plus longs. Dans les deux cas, cela doit être pendant au moins 900 heures par an.

Facteur de risques professionnels Seuil
Action ou situation Intensité minimale Durée minimale
Travail répétitif caractérisé par la réalisation de travaux impliquant l'exécution de mouvements répétés, sollicitant tout ou partie du membre supérieur, à une fréquence élevée et sous cadence contrainte. Temps de cycle inférieur ou égal à 30 secondes, comprenant 15 actions techniques ou plus 900 heures par an
Temps de cycle supérieur à 30 secondes, temps de cycle variable ou absence de temps de cycle : 30 actions techniques par minute

 

Pour l’heure, l’article D. 4161-2 du code du travail définit le travail répétitif comme un travail "caractérisé par la répétition d’un même geste, à une cadence contrainte, imposée ou non par le déplacement automatique d’une pièce ou par la rémunération à la pièce, avec un temps de cycle défini" avec un seuil de 30 actions techniques par cycle d’une minute.

La définition actuelle

 

Visser ou spatuler, cueillir une pomme ou marteler

Reste à savoir ce qu’est une "action technique". "C’est une action manuelle élémentaire mettant en jeu un ou plusieurs segments corporels ou articulations permettant d’accomplir une tâche de travail simple." Oui, mais encore ? Hervé Lanouzière s’appuie sur "une douzaine de verbes d’action" qui recouvrent selon lui "la grande majorité des situations aisément observables et identifiables" : "saisir, positionner, placer, insérer, pousser, appuyer, visser, tirer, frapper, couper, retirer, abaisser". Ils seraient tous traduisibles dans des langages plus techniques : "clipper, encoller, enrubanner, spatuler…". Quelques exemples s’imposent. Cueillir une pomme, c’est bon, nous précise-t-il, c’est bien une action technique. En revanche, "marteler", cela ne fonctionne pas aussi simplement : l’action doit être "décomposée en autant de coups de marteau qui doivent tous être comptabilisés en tant qu’action technique".

Le travail réel et celui du compte pénibilité

Pourquoi avoir fixé le seuil à 30 actions par minute, quand la norme NF X 35 119 relative aux travaux répétitifs à fréquence élevée, créée par l’Afnor pour prévenir les TMS, estime que le "seuil de contrainte à risque minimum" est de 40 actions techniques par minute ? Parce que cette valeur de référence s’entend en l’absence d’autres facteurs, tels que les contraintes d’effort, posturales, temporelles, organisationnelles, etc. Des contraintes du travail réel, indispensables à prendre en compte dans le cadre de la prévention, mais qui ne peuvent simplement être mesurées par l’employeur dans le cadre de l’exposition à la pénibilité au titre du compte pénibilité. Hervé Lanouzière a ainsi appliqué une "correction forfaitaire" qui lui permet d’arriver au seuil "reconnu pertinent par les experts et préventeurs consultés" de 30 actions par minute.

Décret et instruction

Quelle main retenir pour le décompte des actions techniques lorsque la droite en réalise 27 et la gauche 45 ? Une cadence contrainte dépend-elle forcément d’une machine ou peut-elle "résulter de l’interdépendance du collectif" ? Le rapport – voir la synthèse en document joint – détaille ces points très techniques avec des exemples. Ils ne pourront l’être autant dans les décrets – qui devraient donc paraître d’ici la fin du mois d’octobre, a assuré Myriam El Khomri – mais Hervé Lanouzière suggère qu’une instruction ministérielle les accompagne. "Pour que la définition soit immédiatement opérante et ne donne pas lieu à nouveau à des interprétations erronées, il est essentiel qu’elle soit accompagnée concomitamment à sa parution d’une explication des différents éléments qui la composent et de la manière dont ils doivent être compris."

Élodie Touret
Ecrit par
Élodie Touret