Santé des salariées : l'articulation vie privée / vie pro n'explique pas tout
Entre 2001 et 2012, si l'on en croit l'Anact, le nombre d’accidents du travail a diminué de 23 % chez les hommes. Chez les femmes, en revanche, il a augmenté de 20 %. Idem pour les accidents de trajet (+ 15 %), et les maladies professionnelles (+ 169% !). Sans surprise, on constate aussi que l’absentéisme les concerne davantage que les hommes (voir notre article). La faute à une multitude de facteurs ayant un "impact différencié sur les hommes et les femmes", explique Florence Chappert, responsable du projet "genre et conditions de travail" à l’Anact (agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail). La difficile articulation vie privée-vie professionnelle n'expliquerait donc pas tout.
Certes, pour l'Anact, ces chiffres s’expliquent par le fait que les femmes cumulent davantage que les hommes charges professionnelles et familiales, s'exposant par là même à des "horaires atypiques". Mais son "analyse sexuée des chiffres-clés de la sinistralité au travail" (basée sur les chiffres de la CnamTS et de l’Insee) va plus loin. L'agence insiste sur le fait qu’hommes et femmes exercent souvent des métiers distincts, avec des expositions et des probabilités d'accidents donc différentes. Anne Jacquelin, chercheuse en sociologie du travail, confirme : "80 % du total des salariées se concentrent sur 7 ou 8 métiers", les métiers du soin et de l’enseignement, surtout. Néanmoins, selon Florence Chappert, les écarts entre les hommes et les femmes en termes d’accidentologie se retrouvent aussi dans les secteurs professionnels plus mixtes. Les salariées y sont également plus absentes que leurs collègues masculins. Au final, si l’on s’en tient aux données analysées par l’Anact, les secteurs les plus accidentogènes pour les femmes seraient ceux de la santé, du nettoyage, des services, du commerce et de l’industrie de l’alimentation.
Autre facteur important à prendre en compte, pour Anne Jacquelin : l’absence ou la moindre présence du "collectif" – syndicats, branches professionnelles –. Dans les secteurs réputés masculins comme le bâtiment, ils permettent aux salariés d’organiser le travail et de "gérer la prise de risque". Sans cela, l’organisation du travail peut se faire au détriment des salariées, explique la chercheuse, et ne "permet pas de prendre en compte les fragilités psychologiques" qui peuvent surgir en cas de conflit par exemple. Marine Coupaud, chercheuse en économie à l’université de Bordeaux, postule de son côté que le travail indépendant a des "effets favorables sur la santé des femmes", notamment grâce à "l’équilibre entre vie privée et vie sociale" que cela permet. Selon ses travaux sur le sujet, les travailleuses indépendantes ont moins de chance de développer des troubles infra-pathologiques (nervosité, troubles du sommeil, maux d’estomac) ou des troubles musculo-squelettiques que celles qui travaillent dans une entreprises... Surtout si celle-ci est grande.
Car la taille de la structure serait également un facteur qui impacte différemment la santé des hommes et des femmes. "On peut se demander si cet environnement de travail – la grande entreprise – n'est pas plus adapté aux hommes", interroge la chercheuse. "On observe une amélioration de leur santé dans ce contexte, que l'on ne retrouve pas chez les femmes... Peut-être est-ce une question de pression ?". Toujours est-il que lorsqu’elles parviennent à se hisser aux postes à responsabilités de ces entreprises, les femmes connaîtraient "une probabilité plus forte d’expérimenter une maladie". Parce qu’elles n’assument pas moins de tâches domestiques que les autres, et "peut-être aussi parce qu’elles doivent se donner plus que les hommes pour garder leur place", avance-t-elle. Elles seraient en tout cas plus nombreuses que les hommes à travailler plus de 40 heures par semaine... ce qui aurait davantage de répercussions sur leur état de santé que si elles étaient des hommes.
Moins étonnant, le facteur à l'impact différencié le plus net reste les conditions de travail physique. "On peut s’y attendre, du fait de la condition physique des femmes [leur force musculaire équivaudrait aux 2/3 de celle des hommes], et de l’adaptation des postes de travail", pointe Marine Coupaud. Florence Chappert confirme, citant l’exemple d’une entreprise dans laquelle l’Anact est intervenue. La structure s’est féminisée mais n’a pas suffisamment adapté ses systèmes de travail pour intégrer le fait que des femmes y travaillaient désormais : "Nous avons pu constater par exemple que la hauteur d’un certain nombre d’équipements étaient adaptée à la taille moyenne de l’ensemble du personnel, ce qui pénalisait plutôt les salariées", explique-t-elle. Ajoutant que dans cette entreprise, "la répartition des postes de travail est fonction de l’ancienneté", elle souligne une sorte de paradoxe : "Tout cela est équitable, fait pour que les femmes et les hommes aient la même chose. Mais au final, cela pénalise la santé des femmes."
Que fait la prévention en santé et sécurité au travail ? Si elle est bien développée dans les métiers à prédominance masculine comme la métallurgie et le BTP, elle est relativement récente dans les secteurs exclusivement féminins. Et dans les secteurs plus mixtes, elle ne semble pas particulièrement prendre en compte la variable du sexe. La question n’intéresserait-elle pas ? Les femmes sont-elles les seules à pouvoir porter le sujet ? C’est en tout cas un constat que font les chercheuses, jusque dans leur propre secteur d'activité ! Et pour Marine Coupaud, le fait qu’il y ait peu de femmes aux postes de direction accentue le phénomène. Florence Chappert, elle, suggère aux entreprises dans lesquelles l’Anact intervient de "mailler les questions de santé au travail avec les questions d’inégalité", par ailleurs abordées dans le rapport annuel de situation comparée des conditions générales d'emploi et de formation des femmes et des hommes (voir notre brève), obligatoire dans les établissements de plus de 50 salariés. Mais elle en convient, "ça n'est pas la question qui motive le plus les entreprises" (voir notre article).
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"Lorsque nous avons commencé à intégrer cette approche genrée des chiffres de la sinistralité au travail", raconte Florence Chappert de l'Anact, "nous avons très vite réalisé qu'il fallait objectiver les données". Démonstration avec l'un des résultats de recherche obtenus par la chercheuse Marine Coupaud : "En étudiant le rôle que peut avoir l'intensité du travail sur la santé des salariés [hommes et femmes], je me suis aperçue que le fait de devoir beaucoup interagir avec autrui au travail influait davantage que les contraintes de rythme de travail... Chez les hommes comme chez les femmes. On entend pourtant dire que les femmes sont plus sensibles aux relations interpersonnelles...", déplore-t-elle. Autre exemple avec les chiffres de l'absentéisme féminin : "La Dares a estimé qu'entre les femmes qui ont au moins un enfant de moins de 6 ans et celles qui n'en ont pas, l'écart était de 0,2 % en termes d'absence. Toutes absences confondues même, plus elles ont d'enfant, moins elles sont absentes." |
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