CSR : "Il est fondamental que les installations puissent fonctionner à partir d’autres combustibles"
La filière des combustibles solides de récupération (CSR), encore marginale en France il y a quelques années, pourrait prendre un essor considérable dans les mois à venir, boostée par une réglementation nouvelle et des soutiens financiers de l’État. Pour certains, l’essor programmé de cette filière – qui s’affiche comme novatrice et vertueuse – n’est qu’un nouvel artifice destiné à perpétuer l’influence de l’incinération dans le paysage français de la gestion des déchets.
Parce qu’elle vise à accompagner un changement de paradigme, la réglementation environnementale est parmi les plus prolixes et changeantes. Le secteur des déchets et celui de l’énergie, puissants leviers pour réaliser cette mutation, sont les premiers concernés par ces évolutions juridiques. Les CSR, déchets résiduels utilisés comme combustible pour la production de chaleur et d’électricité dans une ICPE (rubrique 2971), sont la parfaite illustration des solutions imaginées à court terme pour passer d’un modèle linéaire, consommateur de ressources et d’énergie, à une économie circulaire favorisant la valorisation énergétique de certains déchets.
Neuf mois après l’entrée en vigueur d'un nouveau cadre réglementaire, parfois critiqué pour son manque de souplesse et son inadéquation à certains territoires, il est intéressant de revenir sur les perspectives qu’il offre aux industriels, d’évoquer ses éventuelles faiblesses et de proposer quelques pistes d’amélioration.
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L’encadrement réglementaire des CSR, très attendu par les acteurs de la filière, s’est finalement concrétisé en mai 2016 par l’adoption d’un décret (décret n°2016-630 du 19 mai 2016 – voir notre article) suivi de deux arrêtés (arrêtés du 23 mai 2016, NOR : DEVP1525038A et DEVP1525037A). Ces textes définissent juridiquement les CSR et apportent des précisions concernant leurs conditions de préparation et d’utilisation dans les installations de production de chaleur ou d’électricité visées par la nouvelle rubrique 2971 de la nomenclature ICPE. Ils confèrent ainsi aux préparateurs et aux exploitants d’installations un cadre juridique commun, en principe favorable à l’essor de la filière. |
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Perspectives et soutiens financiers
Depuis le 1er janvier 2017, toutes les installations de production de chaleur ou d’électricité à partir de CSR sont exonérées du paiement de la TGAP (taxe générale sur les activités polluantes). Cette mesure fiscale, certainement temporaire, vise à stimuler le lancement de la filière. En outre, la nouvelle réglementation, associée à d’importantes dotations publiques, vise à favoriser la construction d’unités de combustion. L’objectif affiché par l’État est d’atteindre une capacité cumulée de 100 MW PCI/an d’ici 2025. Dans ce contexte, l’Ademe a lancé un appel à projets et trois lauréats ont été désignés par le ministère de l’environnement en décembre 2016. Le premier projet se situe en Bretagne, le deuxième dans le Grand Est, et le troisième à La Réunion. Ce dernier est porté par Ileva, le syndicat mixte de traitement des déchets des microrégions sud et ouest de La Réunion. La centrale CSR, installée sur le site de Pierrefonds est dotée d’une puissance électrique de 15 MW.
1er point de vigilance : la production de chaleur ET d’électricité
L’arrêté du 23 mai 2016 relatif aux installations de production de chaleur et/ou d’électricité prévoit que "les installations doivent être dimensionnées pour répondre à un besoin local identifié et quantifié de chaleur ou d’énergie thermique (vapeur, eau surchauffée, eau chaude) à usage industriel ou pour l’alimentation d’un réseau de chaleur. Les installations produisent a minima de la chaleur en fonction de ce besoin local et, le cas échéant, de l’électricité à titre complémentaire". L’objectif est donc de produire prioritairement de la chaleur pour un usage industriel ou résidentiel identifié sur le territoire. Ces précisions sont essentielles. Elles permettent de confirmer que les installations de production de chaleur et d’électricité à partir de CSR doivent permettre de produire ces deux types d’énergie. Un doute aurait effectivement pu subsister, le décret faisant référence à des "installations de production de chaleur ou d’électricité". Cette logique n’aurait pas été conforme à l’esprit de la nouvelle réglementation qui veut empêcher à tout prix l’apparition de nouveaux incinérateurs. Ce risque est néanmoins pointé du doigt, notamment dans les DOM où les installations sont autorisées à ne produire que de l’électricité – la production de chaleur étant de fait moins nécessaire. Le système serait alors quelque peu dévoyé, puisque la construction d’installations fonctionnant à partir de CSR ne permettrait nullement de répondre à un besoin local en chaleur.
La notice du décret n° 2016-630 du 19 mai 2016 prévoit quant à elle que les installations de production de chaleur ou d’électricité à partir de CSR doivent répondre à une demande locale. Or, le décret reste totalement muet sur ce point. Tout l’enjeu se situe néanmoins dans l’adaptation des projets aux contextes locaux. L’article 70 de la loi de transition énergétique est absolument clair à ce sujet, le dimensionnement au regard d’un besoin local est un prérequis indispensable (C. envir., art. L. 541-1, I, 9°). Ce besoin est celui de la demande de chaleur et/ou d’électricité d’un territoire donné. Il ne doit pas être abordé dans l’absolu mais doit être strictement quantifié et mis en perspective avec le potentiel offert par les déchets produits sur le territoire en question (sur la base d’une caractérisation fine assurant des projections de rendements énergétiques permettant de justifier que les CSR constituent une réelle alternative aux autres combustibles connus). Sans une corrélation entre le besoin énergétique local et le potentiel énergétique des gisements locaux de déchets éligibles à la production de CSR, le risque d’un mauvais dimensionnement des unités est très important.
Les conséquences de l’inadéquation du dimensionnement des unités spécifiquement conçues pour la combustion des CSR – notamment ceux produits à partir d’ordures ménagères et de DAE (déchets d’activités économiques) – peuvent être multiples. Le risque majeur étant l’incitation à la valorisation énergétique au détriment de la prévention ou de la valorisation sous forme de matières, produits ou substances. Tout le système hiérarchique de gestion et traitement des déchets peut se trouver fragilisé par le surdimensionnement d’unités appelant, pour leur rentabilité énergétique et financière, de plus en plus d’intrants au potentiel calorifique intéressant mais pouvant être recyclés, voire pouvant faire l’objet d’un réemploi, pour peu qu’existe une politique ambitieuse de prévention aval au travers d’un maillage territorial fort.
L’objectif majeur de la réglementation sur les CSR est de récupérer et de valoriser énergétiquement la fraction non recyclable des déchets non dangereux, sans pour autant freiner le recyclage de ces derniers. C’est la raison pour laquelle il est fondamental que les installations de production de chaleur et/ou d’électricité à partir de CSR puissent fonctionner à partir d’autres combustibles et justifier de la pertinence de leur dimensionnement, faute de quoi les exploitants chercheront des flux permettant d’alimenter leur unité de combustion et d’amortir leurs investissements. Le "R" de CSR deviendrait alors quelque peu captieux…