"Chaque point d'efficacité énergétique gagné, c’est un peu de compétitivité en plus"
"Chaque point d'efficacité énergétique gagné, c’est un peu de compétitivité en plus", défend Bruno Lechevin, le président de l’Ademe, en ouverture du 1er colloque national énergie et industrie qui se tient depuis hier à Marseille. D’ici à 2030, l’agence estime que l’industrie pourrait gagner 20 % d’efficacité énergétique. Actuellement, avec une consommation d’énergie de 32,1 Mtep, l’industrie représente 21 % de la consommation nationale d’énergie – et est responsable de près de 20 % des émissions de gaz à effet de serre. Une facture salée que connaît bien Olivier Dufour, directeur des relations institutionnelles Rio Tinto Alcan : l’usine de fabrication d’aluminium de Dunkerque, qui est pourtant "un avion de chasse" inauguré en 1991, est le site industriel français le plus énergivore. Chaque année, 4 TWh y sont avalés, soit la moitié de la consommation annuelle de la SNCF. Montant approximatif de la facture : plus de 100 millions d’euros. Un plan d’efficacité énergétique prévoit d’y réduire la consommation de 12 % sur 5 ans.
"Il nous est très difficile d’aller chercher ces points supplémentaires, alors on retourne toutes les pierres", explique Olivier Dufour. La chasse au gaspi est lancée, et c’est un des leviers mis en avant par l’Ademe : chercher des solutions organisationnelles. Tous ou presque misent beaucoup sur la formation du personnel. Ce qui suppose de mener un "management du changement", souligne Fabien Majchrzak, ingénieur thermique et process chez Téréos, industrie de fabrication de sucre à partir de betterave : "dans une même société, on a 9 sites, 9 comportements différents, on voit bien qu’il y a des sites où cela ne prend pas". Mais les solutions organisationnelles consistent surtout à revoir le fonctionnement de toute l’usine, dans sa globalité. Le gain pourrait alors se faire sur les 15 à 20 ans de renouvellement du parc.
Si Bruno Léchevin fait remarquer que tous les secteurs sont concernés, tous ne consomment pas de la même manière. Parmi les branches les plus gourmandes, l’industrie agroalimentaire (16 %) arrive juste derrière la chimie (26 %) et dépasse d’un point la sidérurgie (15 %). Le secteur est l’un de ceux à la marge de progression la plus importante. François Luchini est responsable de l’innovation technologique et de l’efficacité énergétique du groupe Bonduelle. Pour mettre en boîte ou surgeler des petits pois – entre autres – Bonduelle s’acquitte chaque année d’une facture de 50 millions d’euros. "60 % de l’énergie sur les sites était gâchée : on a mis en place les procédés sans se soucier de l’énergie", reconnaît-il. Une simple "optimisation" lui permet d’espérer 20 % d’économies, avec des petites innovations, telles qu’arrêter la chaîne de production lorsque les petits pois n’arrivent plus, sur le principe du "stop & go" des voitures récentes au feu rouge. Pour parvenir à 40 % d’économies, il lui faut en revanche envisager des solutions plus importantes : "Nous avons des procédés qui chauffent, et d’autres qui refroidissent, or avec du chaud, on peut faire du froid et vice-versa"… Une pompe à chaleur a ainsi été installée.
On bascule là sur le second levier : l’investissement dans des technologies existantes et éprouvées, mais qui demandent une mise en œuvre plus complexe sur les sites. Chez Terreal, spécialiste de la terre cuite, de la brique à la tuile, pour une facture énergétique annuelle de 40 millions d’euros qui pèse 20 % dans le coût des produits, François Amzulesco, directeur de l’innovation, des projets industriels et de l’international, a impulsé une "démarche de petits pas" qui doit lui faire économiser 3 millions d’euros via 180 actions, une "foule de petites choses" dont certaines ont des effets quasi-immédiats, comme l’installation d’un variateur sur un moteur de ventilateur. "Mais les petits pas ne suffiront pas." L’usine de Villefranche-de-Lauraguais vient d’inaugurer un nouveau système de récupération d’énergie : le procédé concentre le gaz naturel acheté sur la cuisson de la terre, puis la chaleur fatale est récupérée pour le séchage.
Un cercle vertueux. "La technologie est le second levier de progression : en même temps qu’on monte en intensité, on gagne en efficacité énergétique. Et plus on gagnera par l’efficacité énergétique, plus on sera capable d’investir", expose Olivier Dufour. "Les opportunités d’efficacité énergétiques doivent être intégrées dès que l’on construit", plaide Olivier Barrault, du bureau d’études Utilities Performance. Et ce n’est pas si simple lorsque consultants et industriels veulent travailler main dans la main. Intervenir sur des process complexes suppose d’intégrer nombre de contraintes, tient à rappeler Sophie Martin, ingénieur procédés R & D chez Bluestar Silicones : les variations de régime doivent être prises en compte par les nouveaux équipements, tout comme le fait que les procédés soient interdépendants. Sur un de ses sites, classé Seveso 2, dimensionner un nouvel équipement énergétiquement performant pour une zone Atex (atmosphère explosive), a entraîné un surcoût lors de l’investissement.
L’usine du futur se construira-t-elle en s’émancipant de la conception classique ? Les usines d’aujourd’hui, construites hier ont été inventées en commençant par imaginer le cœur du procédé – le réacteur – avant d’y empiler des contraintes : séparateur, échangeurs, utilités. Pour se retrouver, le jour d’un audit énergétique à décortiquer le système dans l’autre sens, en proposant d’abord des gains sur les utilités, échangeurs, séparateurs, sans réellement oser toucher au réacteur. Si ce qui préoccupe le plus un industriel, c’est sa compétitivité, l’innovation de rupture tracasse ses équipes de R & D. Alors cet après-midi, les participants au colloque prévoient de se quitter en racontant et inventant l’usine du futur.